A la façon de Boris Vian : " Je voudrais pas crever avant de…"
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver,
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques,
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles.
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune*
A un côté pointu,
Si le soleil est froid,
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre.
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards.
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout.[...]
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles,
La journée de deux heures,
La mer à la montagne,
La montagne à la mer,
La fin de la douleur,
Les journaux en couleur,
Tous les enfants contents,
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs,
Des jardiniers joviaux,
Des soucieux socialistes,
Des urbains urbanistes,
Et des pensifs penseurs.
[...]
Je voudrais pas crever Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort...
Boris Vian
Je voudrais pas crever
Avant d’être grand-mère,
Avant ma propre mère,
Ou ma sœur ou mes frères.
Je voudrais pas crever
Sans payer mes dettes
Envers les gens honnêtes
Qui me voulaient du bien
Sans que j’en sache rien.
Je voudrais pas crever
Sans ôter les ratures
De mes pages d’écriture
À ma progéniture.
Je voudrais pas crever
Sans avoir marché
Jusqu’à Compostelle,
Ou navigué
Jusqu’aux Seychelles.
Je voudrais pas crever
Sans remplir ma mission,
Sans écrire des chansons,
Sans congédier la tristesse,
Sans connaître l’ivresse,
Sans boire l’eau sacrée
Qui vient d’un puits secret.
Je voudrais pas crever
Sans qu’on ait inventé
La gomme à effacer
Dans chaque cœur blessé
Les tourments du passé
Pour qu’advienne un monde
Plus beau chaque seconde.
Je voudrais pas crever
Sans entendre la voix
Des âmes de l’au-delà
Qui guident nos pas,
Celles qui murmurent tout bas :
« Tu ne crèveras pas »
Anne Dazaud
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